La mixité F/H en entreprise est aujourd'hui au cœur des stratégies de développement RH de la plupart des grandes entreprises. Cette évolution, souvent perçue comme une avancée majeure vers plus d'inclusion et d’équité, peut susciter des réactions mitigées chez certaines femmes et plus récemment chez certains hommes qui le font savoir ! Ce qui remonte de l’enquête que nous avons menée cet été auprès de plus de 200 DRH et salariés, est un sentiment d’inquiétude de la part de certains hommes vis-à-vis des actions en faveur de la mixité qu’ils perçoivent comme des freins potentiels à leur progression de carrière.
Pour débattre de ce sujet, nous avons organisé une table ronde le 1er octobre 2024 chez Talentis autour du thème : "Mixité F/H en entreprise : une menace pour les hommes ?"
Cette table ronde a réuni un collège d’experts : Anne-Laure Labro, Head of Global Talent Management and Corporate University chez Société Générale, Anne-Sophie Nomblot, Présidente du Réseau SNCF Mixité, François Almazor, Directeur du Développement RH et Responsabilité Sociale du Groupe Bouygues, et Aude Bohu, Directrice Générale de Talentis & Executive Coach.
Lors de ce débat, nous nous sommes demandé pourquoi, alors que les études montrent que la mixité améliore la performance et l'innovation au sein des équipes, un sentiment de menace existe. Ce débat, loin d’être tranché, pose une question cruciale : comment les entreprises peuvent-elles continuer à promouvoir l'égalité et dépasser ces perceptions ?
Bien que les politiques de mixité en entreprise soient généralement saluées pour leur contribution à l'égalité des chances et à l'inclusion, elles suscitent des réactions contrastées. Notre enquête a révélé que si la majorité des participants se montraient favorables aux initiatives visant à promouvoir la diversité des genres, un certain nombre d’hommes perçoivent ces actions comme une “menace”.
Selon notre étude, 74% des salariés interrogés déclarent que les actions en faveur de la mixité sont bénéfiques. Notre étude démontre aussi que certains pensent qu’il faudrait aller encore plus loin. Il y a donc un consensus sur le fait que ces actions vers plus de diversité de genre peuvent apporter des avantages aux entreprises.
Cette affirmation est corroborée par de nombreuses études (McKinsey, Ethics & Boards...) et témoignages qui démontrent les avantages concrets de la mixité de genre en entreprise, tant sur la performance que sur l’innovation et la cohésion des équipes. Lors de notre table ronde, les intervenants ont confirmé ces impacts, et Aude Bohu, Directrice Générale de Talentis, a souligné : “Notre enquête montre que la mixité a un effet positif sur la rétention des talents et la dynamique organisationnelle.”
Une mixité dans les entreprises aux postes à responsabilité permet une réponse aux attentes des clients dans une logique de symétrie des attentions. D’autant plus qu’aujourd’hui, les femmes sont autant voire plus diplômées en moyenne que les hommes.
La mixité n'est pas seulement une question d'équité, c'est un levier stratégique pour la performance.
La mixité influence directement les résultats financiers. Les entreprises avec une plus grande diversité de genre dans les instances dirigeantes sont souvent plus rentables. Dans des secteurs comme les technologies de l’information, les équipes mixtes se distinguent par leur capacité à innover plus rapidement et à s’adapter aux évolutions du marché.
La mixité améliore également le climat de travail. Les styles de leadership complémentaires des femmes et des hommes renforcent l'inclusion et la collaboration.
De plus, les entreprises inclusives sont perçues comme plus attractives, particulièrement par les jeunes générations.
Pour une partie des hommes en revanche, les actions en faveur de la mixité sont ressenties comme un bouleversement qui menace leur progression professionnelle. En effet, 36% des hommes interrogés au cours de notre étude ont exprimé un sentiment de “menace” pour leur carrière. Et 29% d’entre eux estiment qu’à compétences égales, ils auront moins de chances d’être promus.
Ce ressenti est souvent alimenté par des craintes liées à des objectifs de nomination de femmes à tous les niveaux, qui viennent challenger une situation dans laquelle les hommes se trouvaient depuis “toujours” en situation de “quasi-monopole”. Certains pensent que les règles du jeu ont changé et ressentent une forme de marginalisation. Mais s’agit-il d’une perception ou d’une réalité ? Nous y reviendrons. Ce qui est certain est que si tout le monde est collectivement d’accord et en faveur de plus de mixité, c’est au moment où l’intérêt individuel est en jeu que les résistances apparaissent !
Ce ressenti n'est pas seulement français. Dans d'autres contextes, comme aux États-Unis, certains mouvements sociaux vont jusqu’à dénoncer ce qu’ils perçoivent comme une tendance « anti-hommes » dans les politiques de diversité, alimentant des tensions autour du phénomène dit de "fatigue de la diversité" ou "gender fatigue".
Le concept de “gender fatigue” reflète la perception qu’au-delà d’un certain point, les initiatives sur la mixité deviennent répétitives, voire intrusives. Certains employés, principalement des hommes, estiment que les discours autour de la diversité de genre ont pris trop de place au sein de l’entreprise, et qu’il serait temps de se concentrer sur d’autres priorités. Ce phénomène se traduit par une certaine lassitude face aux efforts de promotion de la diversité, avec le sentiment que le sujet est survalorisé par rapport à d’autres enjeux organisationnels importants.
Certains hommes parlent même de "génération sacrifiée", exprimant un sentiment que, à compétences égales, ils auraient moins de chances d’être promus qu’une femme dans l’organisation actuelle.
Ignorer ces ressentis pourrait entraîner des résistances internes plus marquées, voire un climat de travail détérioré.
Cette dualité entre soutien et résistance met en évidence un enjeu majeur pour les entreprises.
Le premier constat est qu'il est fondamental de poursuivre les initiatives en faveur de la mixité dans les entreprises afin de rééquilibrer la représentation des femmes à tous les niveaux de l’organisation, car nous n’y sommes pas encore ! Actuellement, seulement 22,95 % des membres des Comex du CAC 40 sont des femmes.
Pour assurer la réussite de ces initiatives, il est essentiel de communiquer clairement sur les objectifs visés, sur la méthode employée pour y parvenir, et suivre les progrès de manière régulière pour aller au-delà des croyances !
Adopter une approche "data-driven" permet de piloter efficacement le développement de la mixité au sein de l’organisation (nombre de nominations hommes et femmes, nombre de femmes sur les postes à haute responsabilité etc...) pour assurer ceux qui pourraient se sentir menacés. Comme l’a mentionné Anne-Laure Labro, la Société Générale suit les résultats avec des reportings trimestriels qu'ils présentent ensuite à la direction générale.
En montrant des résultats tangibles et concrets, les entreprises peuvent démontrer que la mixité ne se fait pas au détriment des hommes, mais qu’elle bénéficie à tous et par la même occasion lever les craintes de certaines femmes d’être “stigmatisées” par une perception de "discrimination positive’’.
Certaines entreprises ont mis en place des programmes spécifiques pour accompagner leurs talents féminins dans le but de les aider à se projeter dans leurs prochaines étapes de carrière en levant les freins qu’elles pourraient se mettre. Ce genre d'initiatives permet d’ouvrir des portes et de casser certains plafonds de verre qui persistent dans les secteurs historiquement dominés par les hommes.
L'une des idées centrales qui a émergé de la table ronde est que la mixité ne doit pas se limiter à des actions ponctuelles ou symboliques, mais s'inscrire dans une transformation profonde de la culture d'entreprise. Cela passe par des actions concrètes et mesurables, mais aussi par un changement de paradigme.
Nos intervenants ont insisté sur la nécessité de promouvoir un modèle de leadership diversifié, associant des compétences historiquement “genrées”, telles que la prise de risque chez les hommes ou la collaboration chez les femmes.
Pour favoriser une plus grande mixité, une transformation profonde de la culture organisationnelle est nécessaire, ainsi qu’une lutte active contre le sexisme ordinaire et les stéréotypes par des actions de sensibilisation.
Anne-Laure Labro, Société Générale, souligne : « Pour changer de culture d'entreprise, il faut un leadership fort et exemplaire. »
À la Société Générale donc, plusieurs initiatives ont été mises en place, car il est admis qu’aucune action unique ne peut suffire. Un changement important dans la gouvernance a eu lieu il y a un an avec la restructuration du comité exécutif, désormais plus collégial et composé d'environ soixante personnes, dont 54% de femmes parmi les 13 membres dirigeants. Ce changement a marqué une nouvelle orientation pour la culture de l'entreprise.
Une autre initiative que la Société Générale a introduite, et dont l'impact a été significatif, concerne les processus de recrutement. Après avoir remarqué que les décisions finales étaient souvent prises par les mêmes personnes, principalement des hommes, le groupe a instauré plus de mixité parmi les intervieweurs. Anne-Laure Labro, nous explique qu’”au lieu d'avoir une majorité d'hommes menant les entretiens, la règle est que, parmi les quatre intervieweurs, on va tendre vers le fait d’avoir 2 femmes (il doit y avoir au moins 1 femme et 1 RH, ce qui le plus souvent abouti à avoir 2 femmes interviewers)” Cette mesure vise à transformer la dynamique des recrutements.
En parallèle, le développement des talents est soutenu à tous les niveaux avec des relais dans chaque pays. Une gestion rigoureuse des talents a été instaurée avec des objectifs précis : 35% de femmes dans les 250 postes les plus élevés d'ici 2026. Ces efforts visent à assurer la pérennité de la diversité.
De la même manière, revoir les critères de “potentiel” est essentiel pour progresser vers plus de mixité. Aujourd’hui, dans certaines entreprises, des critères tels que la mobilité internationale sont encore trop favorisés.
Pour réussir la transformation vers une culture plus mixte, il est essentiel que les hommes ne se sentent pas exclus du processus. Au contraire, ils doivent être activement impliqués dans la réflexion et l’exécution des politiques de diversité. Comme le souligne François Almazor (Groupe Bouygues) lors de la table ronde, "un talent qui considère qu’il est menacé par la présence des femmes n’est pas un talent". Cette approche peut sembler directe, mais elle rappelle que la mixité doit être perçue comme une opportunité et non une menace.
Les hommes doivent être encouragés par l’entreprise à participer activement à cette transformation, notamment en s’impliquant davantage dans des sujets autrefois considérés comme "féminins", tels que l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle, en prenant des congés parentaux par exemple.
Dans ce sens, des entreprises comme Bouygues ont adopté des formations sur les biais inconscients ouvertes aussi bien aux hommes qu'aux femmes afin de sensibiliser tous les collaborateurs à l’importance de la diversité dans les équipes. Ces formations permettent de démontrer, chiffres à l’appui, que la mixité est bénéfique pour l’entreprise dans son ensemble, et qu’elle n’exclut personne.
L’idée que chacun puisse être maître de sa propre carrière prend encore plus de sens dans ce contexte. Si les femmes sont incitées à adopter une attitude proactive dans la recherche de nouvelles opportunités, il est tout aussi important que les hommes perçoivent la mixité comme une occasion d’enrichir leurs perspectives professionnelles. L'objectif ultime est de bâtir une organisation où chaque individu, homme ou femme, se sente pleinement en mesure de diriger son parcours professionnel et d'y trouver sa place, sans craindre d'être marginalisé ou fragilisé par les dynamiques liées à la mixité
Bien que l'entreprise tente de s’orienter vers un changement de culture favorisant une plus grande mixité, elle se heurte à une pénurie de talents féminins dans certaines filières, notamment les domaines scientifiques. Cette pénurie reflète en partie les choix d'orientation effectués en amont, qui influencent la répartition des genres dans ces secteurs.
Quel rôle l’entreprise doit-elle jouer en matière d’éducation pour favoriser la mixité dès les premières étapes du parcours professionnel ?
Anne-Sophie Nomblot (SNCF) soulignait que « plus les choix d’orientation se font tôt, plus ils sont genrés ». Une étude du Centre d'Information et Documentation Jeunesse (CIDJ) révèle que seulement 17% des métiers en France sont réellement mixtes, avec au moins 40% de femmes ou d’hommes, laissant 83% des métiers très genrés. Cette tendance, exacerbée par les réformes récentes, commence dès la fin du collège, une période où les jeunes sont fortement influencés par le besoin de se conformer. Les filles, par exemple, peuvent hésiter à s’orienter vers des métiers perçus comme masculins, comme la mécanique, ce qui les conduirait à se diriger vers des domaines plus féminisés par peur du regard des autres.
Comme nous l’a expliqué Anne-Sophie Nomblot, certains métiers techniques, comme conducteur de train par exemple, sont perçus par les filles comme incompatibles avec une future vie de famille ou trop physiques. Pourtant, des métiers féminisés comme aide-soignante, tout aussi physiques et avec des horaires décalés, sont massivement occupés par des femmes.
Pour lutter contre ces stéréotypes, la SNCF mène des actions auprès des jeunes dès le collège, en leur permettant de découvrir les métiers techniques. Plutôt que d’imposer des choix, ils les invitent à réfléchir sur les compétences requises, provoquant souvent un déclic chez les jeunes qui réalisent que ces métiers ne sont pas réservés à un genre particulier.
Mais le chemin est encore long : En 2023, les femmes représentent environ 28% des effectifs dans les écoles d'ingénieurs en France. Même si ce chiffre est le résultat d'une progression lente et continue de la féminisation dans ces filières, les femmes restent largement sous-représentées, notamment dans les domaines scientifiques et techniques.
Cela démontre qu'au-delà des initiatives des entreprises, il existe un véritable enjeu sociétal plus global nécessitant des efforts collectifs et coordonnés entre monde de l’éducation et monde du travail.
Notre conviction est qu’en continuant les initiatives en faveur d’une plus grande mixité avec un soutien fort des dirigeants tout en ayant une approche transparente sur le résultat et la méthode adoptée, les entreprises peuvent faire de la mixité non pas une source de division, mais un facteur d'unité et de succès à long terme. Les résistances doivent être comprises et abordées, mais elles ne doivent en aucun cas freiner la progression vers une entreprise plus inclusive et performante.
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